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CEDH A et B c. Norvège, 15.11.2016

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« Non bis in idem » : Un principe désintégré par la procédure mixte intégrée

Le 15 novembre 2016 dans l’affaire A et B c. Norvège (requêtes no 24130/11 et n° 29758/11), la Cour européenne des droits de l’homme en formation de Grande chambre dit, par seize voix contre une, qu’il y a eu : Non-violation de l’article 4 du Protocole n° 7 (droit à ne pas être jugé ou puni deux fois) de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’affaire concerne deux contribuables, A et B, poursuivis et sanctionnés administrativement et pénalement pour une même infraction constitutive de fraude fiscale.

Ayant fait l’objet d’une sanction fiscale et d’un redressement, les requérants étaient ensuite condamnés à une peine d’un an d’emprisonnement ferme, à titre de sanction pénale.

Après épuisement des voies de recours internes, les intéressés saisirent la Cour européenne des droits de l’Homme.

Au soutien de leur requête, ils se plaignaient d’avoir subi à la fois l’application d’une sanction administrative et pénale pour les mêmes faits et invoquaient la violation de l’Article 4 du Protocole n°7 (droit à ne pas être puni ou juge deux fois) à la Convention, lequel dispose:

« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif (…) « .

La Cour juge notamment que si des sanctions différentes ont été imposées par deux autorités différentes, lors de procédures distinctes, il existait néanmoins entre celles-ci un lien matériel et temporel suffisamment étroit pour les considérer comme s’inscrivant dans le mécanisme de sanctions prévu par le droit norvégien.

C’est ici une précision que vient apporter la Cour européenne des droits de l’Homme sur le champ d’application du principe Non bis in idem qui, rappelons le, avait été défini par sa jurisprudence établie suite à l’arrêt Engel c. Pays-Bas du 8 juin 1976:

Afin de déterminer si les procédures distinctes ayant donné lieu à double sanction pouvaient être regardées comme « pénales » sur le terrain de l’article 4 du Protocole n°7, trois critères devaient être appréciés, à savoir :

  • « la qualification juridique de l’infraction en droit interne »,
  • « la nature même de l’infraction »,
  • « le degré de sévérité de la sanction dont l’intéressé est passible »,

La Cour indiquant que les deuxième et troisième critères sont alternatifs et pas nécessairement cumulatifs, mais sans exclure une approche cumulative…

D’emblée, si la Cour réaffirme ici son approche casuistique des requêtes portées devant elle, elle n’offre pas la sécurité juridique attendue d’une jurisprudence dite « établie » a l’égard du justiciable, dans la mesure où elle fait des critères qu’elle a historiquement posé, une valeur d’ajustement tenant notamment compte de la marge d’appréciation des États.

Car c’est bien de cette notion de marge d’appréciation des États dont il s’agit à nouveau en filigrane dans la motivation de l’arrêt A et B c. Norvège, en particulier parce qu’il n’existe pas de consensus des États membres sur la question du cumul des sanctions administrative et pénale pour des faits identiques.

C’est notamment le cas lorsque la Cour conclut qu’elle n’a aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le législateur norvégien a choisi de réprimer, au moyen d’une procédure mixte intégrée, c’est-à-dire administrative et pénale, le comportement, préjudiciable à la société, consistant à ne pas payer ses impôts.

C’est donc davantage à un contrôle des conditions d’application de la « procédure mixte intégrée », auquel se livre la Cour européenne des droits de l’Homme.

Pour ce faire, elle opère un examen minutieux des dispositions législatives nationales jusqu’aux travaux préparatoires en commission afin d’apprécier la légitimité des buts visés par la législation norvégienne. La Cour procède à un examen de qualité de la loi dont l’application ferait grief au requérant.

La Grande chambre ne manque pas non plus d’effectuer un tour d’horizon de la jurisprudence de la Cour et de prendre en compte la position de la Cour de justice de l’Union Européenne pour forger sa motivation.

Forte de cet examen détaillé, la Cour va cependant aller jusqu’à considérer que la conduite de procédures mixtes, avec une possibilité de cumul de différentes peines, était « prévisible par les requérants » qui, dès le début, n’étaient pas censé ignorer que les poursuites pénales s’ajoutant à une majoration d’impôt étaient de l’ordre du possible, voire du probable, compte tenu de leurs dossiers.

Elle relève que les procédures administrative et pénale ont été diligentées parallèlement et étaient imbriquées, puisque les faits établis dans le cadre d’une de ces procédures ont été repris dans l’autre et que s’agissant de la proportionnalité de la peine globale, la sanction pénale a tenu compte de la majoration d’impôt.

Cette analyse conduit à s’interroger sur la possibilité du cumul de sanctions administratives et pénales en France, dans la mesure où le droit positif interne ne s’accorde toujours pas à considérer que la procédure fiscale revêt une « nature pénale » et que les procédures administratives et pénales parfois appliquées ne se succèdent pas avec un lien matériel et temporel suffisamment étroit, de manière à former une procédure mixte intégrée. On comprend donc mieux l’intérêt sur ce point pour l’Etat français, d’avoir été tiers intervenant dans la présente affaire. Rappelons également que la France a émis des réserves lors de la ratification du Protocole n°7 à la Convention.

Bien qu’elle reconnaisse que dans la présente affaire, des sanctions différentes ont été infligées par deux autorités différentes au cours de procédures différentes, la Cour estime qu’il existait néanmoins entre celles-ci un lien matériel et temporel suffisamment étroit pour les considérer comme s’inscrivant dans le mécanisme de sanctions prévu par le droit norvégien.

Ce raisonnement n’est pas sans rappeler l’appréciation globale ou « dans son ensemble » qu’opère de plus en plus fréquemment la Cour européenne des droits de l’homme en matière de procédure pénale lorsqu’il s’agit de l’examen d’un grief tiré de la violation de l’article 6§1 (droit au procès équitable) de la Convention. Ce qui paraît confirmer une certaine tendance dans les méthodes de raisonnement de la Cour: absence de consensus, marge d’appréciation des États, appréciation globale …

Mais ce qui tend à ménager la susceptibilité des États membres à la Convention, n’apporte ni certitude, ni cohérence en termes de prévisibilité et de sécurité juridique pour le justiciable.

Au contraire, sous couvert d’apporter des précisions au champ d’application de la règle Non bis in idem, dont les critères sont tantôt alternatifs, tantôt cumulatifs, la Cour européenne des droits de l’homme s’éloigne du principe coutumier énoncé par l’article 4 du Protocole n°7 pour permettre une répression aussi large que les notions dégagées par sa jurisprudence récente.

En affirmant « qu’elle n’a aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le législateur norvégien a choisi de réprimer, au moyen d’une procédure mixte intégrée », la Cour donne en revanche les raisons de douter des motifs qui l’ont conduit à faire de la règle Non bis in idem, un principe désintégré.