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Etat d’urgence et Cour européenne des droits de l’homme: « Ample marge d’appréciation des Etats »

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L’application de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme permet aux gouvernements des Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme de déroger à certains droits garantis par cette Convention.

1/. Dans quelles conditions ?

Dans des conditions strictes qui sont définies à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme et qui permet les dérogations.

Les dérogations sont interdites concernant certains droits.

Ainsi, il ne peut être dérogé au respect du droit à la vie, à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, à l’interdiction de l’esclavage et de la servitude et à la règle « pas de peine sans loi », à l’article 1er du Protocole n° 6 à la Convention qui porte abolition de la peine de mort en temps de paix, à l’article 1er du Protocole n° 13 à la Convention relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, ainsi qu’à l’article 4 (droit à ne pas être jugé ou puni deux fois) du Protocole n° 7 à la Convention.

L’Etat concerné ne peut invoquer son droit de dérogation qu’en cas de guerre ou d’autre danger menaçant la vie de la nation ;

Il ne peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la Convention que dans la stricte mesure où la situation l’exige;

Les dérogations ne peuvent pas être en contradiction avec les autres obligations contractées par l’Etat dans le cadre des traités et conventions internationales auxquels il a adhéré;

L’Etat doit enfin tenir informé le Secrétaire général du Conseil de l’Europe quant aux mesures qu’il entend prendre en dérogation à la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi qu’à leur durée.

Il s’agit donc a priori de conditions de mise en oeuvre strictes tant dans les motifs qui commandent d’adopter les mesures dérogatoires (guerre ou autre danger menaçant la vie de la nation) que dans leur durée (dans la stricte mesure où la situation l’exige).

2/. Existe t-il un contrôle de l’utilisation des dérogations par un Etat partie à la Convention européenne des droits de l’homme ?

Oui, bien que l’Etat partie invoque l’application de l’article 15, la Cour européenne des droits de l’homme n’en reste pas moins gardienne du respect de la Convention européenne des droits de l’homme et peut si elle est saisie par voie de requête contre l’Etat concerné, contrôler la régularité de l’application des mesures dérogatoires à la Convention.

La Cour a eu l’occasion d’effectuer ce contrôle dès 1961 à l’occasion d’arrêts rendus notamment contre l’Irlande, la Turquie et le Royaume Uni.

3/. Quelle est l’intensité du contrôle opéré par la Cour européenne des droits de l’homme?

La jurisprudence de la Cour en la matière est particulièrement motivée, ce qui confère à ses décisions la garantie d’un contrôle supranational indépendant.
La Cour exerce surtout un contrôle de proportionnalité. A savoir, si les mesures adoptées sont proportionnées au danger avéré. Elle va ainsi vérifier que la substance des droits garantis ne soit pas atteinte.

Néanmoins, en vertu du principe de subsidiarité qui exige notamment de la Cour qu’elle ne puisse pas s’ingérer dans l’exercice des prérogatives souveraines d’un État partie, celle-ci superpose à son contrôle de proportionnalité des mesures, la notion de « marge d’appréciation des Etats ».

Entre la mission de sauvegarde des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et l’omission d’ingérence dans l’exercice de la souveraineté des Etats membres, la Cour se trouve souvent dans une position délicate et contradictoire.

C’est alors que l’emploi de la notion de marge d’appréciation des Etats dans certaines de ses décisions, lui permet d’assurer à la fois un contrôle du respect de la Convention européenne des droits de l’homme tout en conciliant les prérogatives des Etats parties à ladite Convention.

L’un des exemples les plus représentatifs est l’arrêt de Grande Chambre rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 19 février 2009 dans l’affaire A. et autres c. Royaume-Uni (requête no 3455/05).http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=003-2640001-2883563:

Au sujet d’une demande de dérogation faite par le Royaume uni suite aux attentats qui frappaient les USA en 2001, la Cour a considéré que :

« Dès lors, même si Al-Qaida n’avait pas encore commis d’attentat sur le sol britannique au moment où la dérogation fut établie, on ne saurait reprocher aux autorités nationales d’avoir cru à « l’imminence » d’un attentat. On ne doit pas obliger les États à attendre qu’un désastre survienne pour prendre des mesures propres à le conjurer. Ceux-ci bénéficient d’une ample marge d’appréciation pour évaluer la menace en fonction des informations dont ils disposent.
L’opinion de l’exécutif et celle du Parlement importent en la matière, et il convient d’accorder un grand poids à celle des juridictions internes, qui sont mieux placées que le juge européen pour évaluer les éléments de preuve relatifs à l’existence d’un danger. »

Il est alors permis de s’interroger sur la rigueur du contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme sous l’angle de la notion de marge d’appréciation des Etats membres. Notion peu garante de sécurité juridique, à plus forte raison s’agissant du contrôle des dérogations à la Convention européenne des droits de l’homme par les Etats.

Car ici, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît bien une « ample » marge d’appréciation aux Etats, tandis que les conditions de mise en oeuvre de l’article 15 requièrent des conditions plus strictes. Paradoxe.

Nul doute que peu juridique, la notion de marge d’appréciation ne soit aussi « trouble » que les circonstances qui justifieraient les dérogations à l’article 15 de la Convention…