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CEDH – «Sea Watch» : Le débarquement des droits de l’homme n’aura pas lieu

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Par décision du 29 janvier 2019, la Cour européenne des droits de l’homme en formation de chambre a rendu une mesure provisoire concernant le navire de l’ONG SeaWatch 3, qui est actuellement amarré au large de Syracuse (Sicile) et à bord duquel se trouvaient 47 migrants.

Le 19 janvier 2019, le navire de l’ONG avait secouru 47 migrants. Dix jours durant, il avait attendu en mer l’autorisation d’accoster dans un port sûr pour pouvoir les débarquer. Alors qu’il évitait, depuis l’été 2018, de croiser dans les eaux italiennes de peur d’être arraisonné, il avait dû se rapprocher des côtes siciliennes en raison du mauvais temps.

Le 25 janvier 2019, le capitaine du navire Sea Watch 3 ainsi qu’un des migrants se trouvant à bord ont formé une requête en demande urgente de mesures provisoires à la Cour européenne des droits de l’homme, en application de l’article 39 du règlement de la Cour.

Le 28 janvier, 15 mineurs non accompagnés se trouvant eux aussi à bord du navire ont également saisi la Cour d’une demande de mesure provisoire.

En effet, le navire n’avait pas été autorisé à entrer au port, et les requérants se plaignent d’être retenus à bord en l’absence de tout fondement légal, dans des conditions inhumaines et dégradantes, et d’être exposés au risque d’être renvoyés en Libye sans que leur situation ne fasse l’objet d’une évaluation individuelle.

Les requérants sollicitaient donc de la Cour que les migrants secourus par le navire en Méditerranée, soient autorisés à débarquer. Ils indiquaient en particulier que les conditions de vie à bord étaient précaires et compromettaient leur état de santé dégradé.

Bateau Sea-Watch avec migrants rescapés
Le bateau Sea-Watch avec des migrants rescapés en Méditerranée

Dans sa décision du 29 janvier 2019, la Cour rejette la demande de débarquement des requérants.

Elle exige cependant du gouvernement italien que celui-ci prenne « toutes les mesures nécessaires, dès que possible, pour fournir à tous les requérants les soins médicaux, la nourriture, l’eau et les produits de première nécessité nécessaires. Le Gouvernement est également prié d’apporter aux 15 mineurs non accompagnés qui se trouvent à bord l’assistance juridique appropriée (par exemple des mesures de tutelle), et de tenir la Cour informée régulièrement de l’évolution de la situation des requérants ».

Il s’agit en réalité d’une décision de refus assortie de « mesures de principe », puisqu’elle aboutira à maintenir les migrants dans une situation de fait qui existait avant sa saisine par les requérants, s’agissant des conditions de prise en charge des migrants par les autorités italiennes.

Ainsi, la Cour a indiqué que cette mesure était provisoire et s’appliquerait jusqu’à nouvel ordre, comme un rappel purement formel des effets d’une saisine sur le fondement de l’article 39 de son règlement, rien de plus, rien de moins.

Le 30 janvier, le gouvernement italien a finalement annoncé que les 47 migrants du navire Sea Watch seraient débarqués le lendemain matin et pris en charge par des structures d’hébergement pour les huit mineurs isolés qui se trouvent à bord. Les autres migrants seraient conduits à Messine, avant de rejoindre, au plus vite, leur nouvelle destination.

Quarante-deux demandeurs d’asile débarqués du Sea-Watch, ont finalement été accueilli le 7 février 2019 en France depuis Malte, selon l’Office français d’immigration et d’intégration (Ofii). Épargnés des exactions commises en Libye, ils devront toutefois affronter les chicanes de la procédure de demande d’asile applicable en France.

Le 1er février 2019, les autorités italiennes ont néanmoins annoncé avoir bloqué le navire humanitaire Sea-Watch-3 dans le port de Catane en Sicile, au prétexte d’une série de « non-conformités ».

Il y a lieu de redouter une décision stratégique du gouvernement italien, visant à s’assurer qu’il n’y ait plus de témoins directs des opérations en Méditerranée centrale, dont le partage des tâches s’opère entre les autorités italienne et libyennes dans des conditions à l’abri de toute transparence.

Force est de constater que bien loin de constituer une injonction effective à l’encontre de l’Italie, la décision de mesures urgentes rendue par la Cour européenne des droits de l’homme ce 29 janvier 2019, n’aura pas permis le débarquement des droits de l’homme pour endiguer une politique migratoire inhumaine.



Focus sur les conditions d’application de l’article 39 du règlement de la Cour européenne des droits de l’homme :

La situation d’urgence est définie aux articles 39 et 41 du règlement de la Cour européenne des droits de l’homme.

La procédure aux fins de mesures provisoires sur le fondement de l’article 39 du règlement de la CEDH, prévoit qu’en cas de situation grave et urgente, la Cour peut indiquer à l’Etat membre concerné par la requête, les mesures provisoires qu’il convient d’adopter pour empêcher un préjudice imminent et irréparable dans une situation grave et urgente.

Le champ d’application des mesures provisoires concerne toutefois des domaines limités. Ainsi, les griefs tirés de la violation des Articles 2 et 3 de la Convention sont plus souvent utilisés pour justifier les mesures provisoires, dans des cas d’expulsion et d’extradition. La Cour peut demander ici à l’Etat de suspendre sa mesure dans l’attente qu’elle se soit prononcée. L’objectif est de préserver les droits des parties en attendant qu’un arrêt définitif soit rendu. En l’absence de ces mesures provisoires, ces droits seraient privés de leur substance.

Enfin, l’article 41 du règlement de la CEDH prévoit que «pour déterminer l’ordre dans lequel les affaires doivent être traitées, la Cour tient compte de l’importance et de l’urgence des questions soulevées, sur la base de critères définis par elle». Ces critères sont donc d’appréciation discrétionnaires et dépendent du cas d’espèce soumis à la Cour.

Il n’est donc pas possible de définir précisément ces critères, ce qui constitue une difficulté sérieuse en termes de sécurité juridique.